Le musée Bonnefanten de Maastricht présente depuis le 12 mars, 2013 et ce jusqu’au 11 août, une belle exposition d’« avant-garde russe » intitulée « The Big Change ». Une de plus dirait-on si ce n’est que les œuvres sont généreusement accrochées et ce dans une ville qui, tous les ans, bénéficie au mois de mars de la visite des meilleurs amateurs d’art. Ils viennent du monde entier pour la célèbre foire d’art – la TEFAF, rendez-vous pour ce qu’il y a de meilleur au monde sur le marché de l’art. Comme une de mes bonnes amies m’a dit : « C’est comme si l’on se promenait dans un très bon musée, sauf qu’ici tout est à vendre. »
Inaugurée précisément pour coïncider avec la foire, la visite de l’exposition russe au musée Bonnefanten ne devait en principe cacher pour le visiteur averti que je suis aucune surprise, car les œuvres proviennent des collections muséales russes : le Musée Russe de Saint-Pétersbourg, la Galerie Tretiakov de Moscou et le musée de Rostov. On y a ajouté, pour la première fois, quelques toiles de Tatlin, œuvres qui pour des raisons bien particulières, sont conservées aux Archives d’art et de littérature moscovites (RGALI). Connaissant bien, et ce depuis fort longtemps, ces collections je me promettais un vrai plaisir, sinon tout au plus une visite de routine.
Que neni : dans la dernière salle de l’exposition, je me suis soudainement trouvé confronté à une pitoyable imitation d’un des tableaux cubo-futuristes de Malewicz, son « Samovar » de 1913, une des œuvres importantes de cette période, une des œuvres les mieux documentées de Malewicz (au printemps 1914 elle fut une des trois peintures de l’artiste exposées à Paris au « Salon des Indépendants ») donc une œuvre qui occupe une place importante dans l’histoire de l’art moderne tout court.
Passons déjà sur l’inexactitude des dates incluses dans la notice qui est apposée à côté du tableau, ce genre de détail irrite les seuls spécialistes, mais le choc visuel de ce « Samovar » pseudo-malewiczéen fut de taille et il est bien plus grave. Cela fait onze ans déjà que j’avais signalé l’existence de cette imitation, ce dans une des notices les mieux fournies du « Catalogue raisonné » que je consacrais à l’artiste (voir mon Kazimir Malewicz, Catalogue raisonné, Éditions Adam Biro, Paris 2002, cat. F-377, note 4). Il me faut constater que cette publication reste peu connue sinon franchement ignorée hors des grands musées occidentaux et ce non seulement en Russie, mais aussi bien par les auteurs (hollandais ?) du catalogue que par les conservateurs du musée de Rostov. (Mais que dire de leurs collègues qui n’ont pas manqué de voir l’ensemble de l’exposition ?)
C’est un bien mauvais service qui est rendu à Malewicz que de présenter cette ridicule imitation (car on n’est même pas face à une copie) sous son nom, de surcroît dans une ville où cette peinture va être vue par de nombreux visiteurs dont les connaissances en art moderne sont souvent bien supérieures à celles de la peinture ancienne, point fort de la foire de Maastricht.
Il y a quelques semaines j’ai eu la chance de contempler à l’Accademia de Venise le « Martyre de Saint-Laurent » de Titien, œuvre majeure qui avait acquis une nouvelle splendeur à l’issue d’une des plus remarquables restaurations accomplies ces dernières années en Italie, pays dont c’est la spécialité. Pour moi, ce fut une des plus extraordinaires expériences artistiques que j’ai eu la chance d’éprouver ces derniers mois.
Après avoir longuement admiré le chef-d’œuvre de Titien, je me suis promené dans Venise. Mes pas m’ont conduit jusqu’à l’église des Jésuites, d’où venait la toile de Titien. Soudainement, à l’emplacement où devait figurer le « Martyre de Saint-Laurent », j’ai aperçu une cascade brunâtre ; j’ai compris qu’il s’agissait d’une copie (cette fois-ci une vraie copie), qui était placée là pour pallier l’absence de l’original qui fut en restauration pendant plusieurs années. La comparaison de cette copie lambda avec le souvenir bien frais dans ma mémoire du chef-d’œuvre éclatant de Titien fut grandement instructive. Je ne l’oublierai jamais. Le choc du « Samovar » pseudo-malewiczéen n’en était pas moins violent.
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