Le travail d’Andréi Nakov dans le domaine de l’avant-garde russe débutait en 1972 par la publication d’une étude monographique consacrée à Alexandra Exter (1882-1949). Rattachée au premier groupe d’artistes abstraits russes, l’œuvre d’Alexandra Exter, était tombée alors dans un oubli quasi-total et ce malgré les efforts de son légataire testamentaire Simon Lissim (1900-1981) qui, en 1950, avait recueilli les archives et l’ensemble de l’atelier de l’artiste, morte à Paris dans le dénuement le plus total. Ayant émigré en France au début de l’année 1924, Alexandra Exter avait emporté l’essentiel d’une documentation concernant son œuvre de même qu’un ensemble significatif d’œuvres qui fut exposé à Berlin à la fin de l’année 1922.
Au printemps de 1972, une exposition organisée à Paris par A. Nakov avec des œuvres provenant de l’ensemble de S. Lissim accompagnait la publication de sa première monographie.
Au cours des années 70, l’œuvre d’Alexandra Exter fut présentée en Europe et aux USA (Lincoln Center de New York) lors de plusieurs expositions personnelles et collectives. Son nom intégra peu à peu le Panthéon des avant-gardistes russes du XXème siècle.
Léguant à A. Nakov la charge de faire respecter le droit moral de l’artiste, peu avant sa mort, Simon Lissim léguait à A. Nakov non seulement les archives d’Alexandra Exter dont il avait hérité de l’artiste en décembre 1948 par voie testamentaire mais également ses propres archives liées à l’œuvre d’Exter qu’il avait constituées lui-même. Cette documentation incontournable pour l’étude de l’œuvre d’Alexandra Exter comprend de nombreux documents personnels, des documents de travail d’Exter (cahiers d’études, cahiers de collages, carnets personnels, photographies d’œuvres), une correspondance personnelle et artistique, la palette de l’artiste et surtout des listes d’œuvres établies par l’artiste et par Simon Lissim. À cette documentation fondamentale pour l’étude de l’œuvre, allaient s’ajouter au cours des années 80 d’autres apports documentaires majeurs provenant de personnes, proches de l’artiste ou de ses élèves (Nehama Szmuszkowicz, Gio Colucci, Michelet et autres). Cette documentation qui grandit constamment servira dans un proche avenir à la rédaction d’une monographie exhaustive, ouvrage auquel A. Nakov travaille depuis plusieurs années. La nécessité d’une pareille publication se fait sentir vivement en raison de l’intérêt grandissant pour l’œuvre d’Exter et non moins au vue du nombre inquiétant d’œuvres apocryphes qui apparaissent sans relâche depuis plusieurs années (voir à ce sujet le communiqué de l’Association Alexandra Exter en date du 2 juillet 2006).
Pour faire connaître l’œuvre d’Alexandra Exter et en vue de la défense de l’image de l’artiste, qui aujourd’hui se trouve gravement menacée, A. Nakov fondait en l’an 2000 l’« Association Alexandra Exter » dont le siège est à Paris (Association régie par la loi du 1er juillet 1901, art. 51, enregistrée à Paris le 20 septembre 2000), A. Nakov étant son président. Dans le comité fondateur de l’association figuraient à l’origine des personnes impliquées dans la redécouverte de l’œuvre de l’artiste, tandis qu’aujourd’hui figurent des historiens de l’art de réputation internationale : Dr. Josef Grabski, directeur de l’Institut IRSA de Cracovie, Van Kirck Reeves, avocat international (établi à Paris et à New York), spécialisé dans le domaine des arts plastiques et du droit international et l’historienne de l’art et organisatrice d’exposition Jill Silvermann van Conegrahts dont l’expérience en tant que directeur de galerie (Ropacz à Paris ou Locsdale à Londres) est précieuse.
Victime des manipulations frauduleuses qui ont eu lieu sur le marché d’art au cours des vingt dernières années et surtout en 2009, l’œuvre d’Alexandra Exter reste encore mal comprise, car peu ou incorrectement étudiée. En attendant que les procédures judiciaires arrivent à leur terme on se doit de signaler que l’œuvre d’Alexandra Exter a grandement souffert de cette situation de « mise entre parenthèses ». Ainsi tout récemment, elle fut incluse de façon étrangement bancale dans une exposition consacrée au constructivisme russe et qui fut présentée à la Tate Gallery de Londres en 2009 (Rodchenko and Popova definig Constructivism). Cette entreprise a montré à elle seule à quel point la vision du sujet reste prisonnière de certains schémas vieux de quelques décennies.
La situation des publications russes n’est pas meilleure, car, en règle générale, celles-ci se limitent à la reprise des informations occidentales, tandis que la partie proprement russe souffre, pour cette raison également, d’un manque de vision de l’ensemble de l’art moderne. S’y ajoutent les manipulations frauduleuses qui assombrissent d’autant l’horizon interprétatif.
Après un début expressionniste, Alexandra Exter s’oriente résolument vers l’esthétique cubiste et futuriste. Ses fréquents séjours parisiens (1910-1914) lui permettent de se familiariser avec les principes du cubisme, de même que d’assimiler les postulats du futurisme naissant (amitié avec Soffici, Marinetti et Severini). En tant que membre assidu des « Soirées de Paris », elle informera en détail ses collègues russes des dernières nouveautés parisiennes. Exter complète son éducation artistique par un long voyage italien, au cours duquel elle aura la révélation de l’art étrusque. La sévérité pré-classique de cet art correspond singulièrement à la rigidité dynamique de son orientation géométrique, pré-constructiviste.
Dès 1908, elle participe à la plupart des expositions avant-gardistes russes dont certaines auront lieu grâce à son talent de négociateur et grâce à sa grande générosité de cœur. De retour en Russie en 1914, elle s’installe à Kiev, tout en prenant une part active à la vie artistique moscovite. L’originalité de ses idées picturales, de même qu’une indéniable intelligence, en feront l’interlocuteur privilégié de Malevitch, le seul auquel il se confiera durant l’été 1915, au moment où il franchit le pas de la création non-objective.
L’œuvre futuriste d’Exter aboutit dès 1914 à des schémas compositionnels originaux qui annoncent déjà la future peinture constructiviste. En 1916, elle apporte à la scène moscovite un ensemble d’idées coloristes. Les thèmes et procédés énergétiques d’origine futuriste conduiront à l’éclosion d’un art non-objectif construit, fondé sur l’interaction dynamique des couleurs. Parallèlement à une création picturale originale, son talent s’épanouit dans le domaine de l’art décoratif et dans celui du décor théâtral en particulier où elle acquiert une réputation inégalée. La mise en scène de « Thamire le Citharède » (1916) est suivie de « Salomé » (novembre 1917), spectacle au cours duquel le décor non-objectif reçoit ses lettres de noblesse sur la scène du Théâtre de Chambre (Tairov) de Moscou. La grande présentation d’œuvres picturales de l’artiste qui a lieu au même moment dans le cadre du Salon « Valet de Carreau », s’apparente à une brillante rétrospective. L’œuvre picturale d’Exter apparaît à ce moment comme le moteur d’une nouvelle orientation picturale et dont la dynamique va se trouver à la base de la peinture constructiviste. L’originalité d’Exter c’est d’avoir introduit dans l’art non-objectif le concept de l’interaction dynamique des plans. Contrairement à Malévitch qui tenait à l’autonomie inconditionnelle des plans non-objectif, Exter postule l’emploi conjoint des différents éléments, ainsi l’énergie de chaque couleur se trouve imbriquée dans une construction où chaque élément devient organiquement lié aux autres.
Les costumes et les décors pour « Roméo et Juliette » (Moscou, hiver 1920 – 1921) marquent l’apothéose de sa création théâtrale. Ils détermineront sans conteste l’évolution du décor scénique russe au cours des années vingt. Son travail pour le film « Aelita » de Protozanov (1923) reste à ce jour un des sommets de la plastique constructiviste.
Entre temps, Exter ouvre à Kiev un atelier de décor non-objectif, tandis qu’à Odessa, elle développe un enseignement original de l’art non-objectif dans le cadre d’une école moscovite de peinture pour enfants. Parallèlement à l’atelier viennois de Itten, celui d’Exter apparaît comme le précurseur lumineux du Bauhaus et du Vhutemas, école qui fera appel à Exter en 1920. Installée à Paris à partir de 1924, elle continue à enseigner dans le cadre de l’Académie Moderne de Léger et Ozenfant. Son travail constructiviste trouve un prolongement dans le domaine du décor scénique (ballets de Nijinskaja et E. Kruger) La désaffectation de l’intérêt pour l’esthétique constructiviste en Europe occidentale marque tristement à partir de la fin des années vingt le sort de cette artiste : Exter va mourir totalement oubliée dans son pays, aussi bien qu’en France.
Son œuvre picturale connue en Europe et aux U.S.A. grâce aux expositions d’avant-garde russe (Berlin 1922, Venise 1924, Paris 1925, New York 1937) connaîtra les vicissitudes dramatiques de la guerre civile : en 1920, au cours d’un incendie, la majeure partie des tableaux conservés dans son atelier de Kiev furent détruits.
Ses rares œuvres sont conservées aux Musée Théâtral de Moscou, Victoria and Albert Museum de Londres, MOMA de New York et différents musées allemands.
Bibliographie
- Alexandra Exter, Paris, 1972
- Painting and Stage design : A creative dialogue in catalogue « Alexandra Exter, Artist of the Theatre », New York Public Library at Lincoln Center, New York 1974, p. 9-15
- Abstrait/Concret. Art non-objectif russe et polonais, Transédition, Paris,1981
- A Modern-day Modello : On Three Figurines by Alexandra Exter in « Elvehjem Museum of Art Bulletin, Annual Report 1991-1993 », University of Wisconsin, Madison, USA 1994, p. 69‑81
- Alexandra Exter, Synthetische Darstellung von Dieppe um 1912/13 in anthologie « Russische Avantgarde im Museum Ludwig, Band 1 : Der Kubofuturismus und der Aufbruch der Moderne in Russland », Wienand Vg, Wienand, 2010, p. 50-57.
- Voir également Bibliographie : 1972, 1974, 1981, 1984, 1994
- Voir l’interview d’Andréi Nakov dans : La pensée russe, Paris, n° 30 du 7-13 décembre 2000 et dans Kultura, Moscou, n° 44 (7503) du 10-16 novembre 2005
- Un site web est consacré à Alexandra Exter. Réalisé par l’ « Association Alexandra Exter », il contient également des informations d’actualité : alexandra-exter.net