Architecte de formation (études à Stuttgart), Johannes Baader (1875 -1956) reconnaît sa vocation mystique et littéraire lors d’un séjour à Dresde (1903-1905) où, comme il l’a toujours affirmé par la suite, il a eu la révélation de son destin prophétique sur les marches de la gare de cette ville.
Son amitié avec Hausmann date de 1905, époque à partir de laquelle il construit sa mythologie personnelle, inspirée en grande partie par une violente assimilation du mythe chrétien, thème qui à partir de ce moment alimentera sa pensée créatrice et ceci jusqu’à la fin de ses jours.
En 1914, Johannes Baader publie la plaquette « 14 lettres adressées à Jésus Christ », texte dans lequel il se présente lui-même en tant que nouveau Christ. À partir de 1918, il prend une part active au mouvement dadaïste berlinois : il est un des fondateurs du « Club dada » de cette ville.
Les activités de Johannes Baader se développent sur le plan de l’écriture (rédaction de nombreux manifestes et plaquettes) et sur celui de l’action directe (provocations sociales ou politiques). Le 18 novembre 1918 au cours de la messe dominicale, il interpelle violemment le prêtre de la cathédrale berlinoise en s’écriant : « Que pensez-vous de Dieu, moi je m’en fous ! » (Gott ist mir Wurst !). Cette interpellation qui crée le scandale voulu marque le début d’une longue chaîne d’actions et « happenings ». Quelques mois plus tard, il fera une pareille intervention au cours de la séance du Parlement de Weimar et distribuera à cette occasion un de ses manifestes politiques.
Johannes Baader s’autoproclame « Président du globe terrestre » et écrit plusieurs manifestes à ce sujet. Jouant avec un grand raffinement avec sa folie, il se garantie une existence qui essaie d’effacer la frontière entre le banal et le surnaturel. À l’instar de bien de créateurs de sa génération, il réagit de façon violente à la surcharge symboliste qui pèse sur ses épaules. Le dépassement de cette dépendance est réalisé par une transformation de l’échelle des valeurs : dans la perspective de sa génération l’individu se libère du poids du monde en abolissant les pôles du sacré et du social : le sacré devient un sujet d’ordre social, tandis que l’ordre social est violemment contesté. La seule valeur qui est défendue est celle de l’autonomie supérieure de la personnalité créatrice. Le dernier postulat conduit à la déification des mythologies personnelles. On pourra dire sans exagérer de son cas que la folie constitua pour Johannes Baader une arme dont il sut se servir avec une intuition tout à fait supérieure.
Sa production est de nature essentiellement littéraire. Ainsi au début des années vingt, Johannes Baader produisit une grande quantité de manuscrits émaillés de collages, dont la majeure partie a été détruite au cours de la deuxième Guerre mondiale. Élevant la mythologie personnelle du niveau du sujet de son œuvre créative, il produit des textes dont la narration est composée d’un collage savant d’éléments autobiographiques et d’informations de nature socio-politique. Dans la perspective de ce procédé poli-sujetal, le photo-collage trouve une place tout à fait naturelle, il s’inscrit de façon organique dans cette narration qui combine simultanément plusieurs niveaux de signification.
À la Foire Dada de 1920, Johannes Baader présenta l’assemblage monumental « Deutschlands Grösse und Untergang » (Grandeur et déchéance de l’Allemagne) dont on trouve une description détaillée dans le Dada-Almanach de Huelsenbeck. La complexité symbolique de cette œuvre et la richesse des éléments figuratifs employés font de cet assemblage monumental un des sommets insurpassés du dadaïsme. Ensemble avec Hausmann, il fit au début des années vingt, plusieurs tournées de conférences dadaïstes.
À partir de 1925, Johannes Baader s’installe à Hambourg et travaille en tant que journaliste au Hambourgischen Korrespondent. Fidèle à ses principes dadaïstes, il écrira très souvent des articles avec un crypto-contenu dadaïste et dans lesquels il est couramment fait allusion au « Club de la voie lactée » (dadaïste), dont il était le fondateur et, à ce moment, le seul membre. N’ayant pas abandonné sa pratique architecturale, il produira à ce moment les plans d’une partie du jardin zoologique de Hambourg. Les bâtiments qu’il projette ont ceci de particulier qu’ils évitent les barreaux aux animaux.
Si son mysticisme personnel fut responsable au cours des années trente d’une confusion avec le nazisme allemand, ceci fut un simple accident de parcours, dans ce que l’on pourrait décrire comme un chemin mystique des plus personnels. Fidèle à ses positions dadaïstes, Johannes Baader continua après la deuxième Guerre mondiale ses actions contestataires, y compris la plaquette « Stern Erde » qu’il envoya au président Hess.
Andrei Nakov s’intéressa à Johannes Baader dès la fin des années soixante. Grâce à ses contacts personnels avec Hannah Hoech, il réussi retrouver des amis berlinois de l’artistes, ce qui lui a permis de sauver des documents importants que Baader avait laissés à Berlin en 1924, dont plusieurs manuscrits.
Les documents photographiques reproduits ici font partie de cet ensemble.
Bibliographie
- Baader, Johannes, Oberdada. Schriften, Manifeste, Flugblätter, Billets, Werke und Taten, Giessen, 1977
- Tendenzen der Zwanziger Jahre, cat. exp. Berlin, 1977
Voir également Bibliographie générale : 2005