« sans mémoire tout est neuf »*
encore et toujours ?
Il y a deux semaines lors d’une soirée à la Bibliothèque Kandinsky (Centre Pompidou) a été présentée la version française d’une Encyclopédie de l’art moderne russe, entreprise terminée il y a deux ans à Moscou et pour laquelle j’ai occasionnellement rédigé quelques articles. Une auditrice présente à cette soirée m’écrit en posant la question d’une « révélation » que les présentateurs russes auraient fait à cette occasion : la « découverte » d’une nouvelle date de naissance de Kazimir Malewicz (Maléwicz) qui aurait été avancée – par eux ! – d’une année, passant de 1878 à 1879.
De pareilles « révélations » ont lieu régulièrement dans l’historiographie récente de l’art moderne russe. L’ignorance des publications en langues occidentales est un fait courant dans ce domaine.
Je me plais de rappeler que dès 2002, date de publication de mon « Catalogue raisonné » de l’œuvre de Kazimir Malewicz, j’ai rendu publique cette rectification de date en expliquant les raisons (documentaires) m’ayant conduit à ce changement. J’ai abordé plus largement ce sujet dans la partie biographique de ma monographie consacrée à l’artiste, travail qui était également prêt pour la publication à la fin de l’année 2002, 2003, mais qui en raison de la défaillance de l’éditeur Adam Biro est paru seulement 4 ans plus tard, évidemment chez un autre éditeur : Thalia, Paris.
La date de 1879 figure également dans mon Malévitch : aux avant-gardes de l’art moderne , ouvrage destiné au « grand public » et publié par Gallimard en 2003 dans la collection « Découvertes », une collection dont le tirage dépasse les 10 000 exemplaires…
Tout récemment j’ai appris qu’un éditeur allemand s’apprêtait de publier un opuscule comprenant – révélation ! – la « première » radiographie du Carré noir de Malévitch. Or j’ai fait réaliser à grand effort cette radiographie à la fin des années 1990 (à l’époque ce fut un exploit !). Elle figure ainsi dans ma monographie de 2007 (version anglaise en 2010).
L’exposition moscovite de novembre 1915 dans laquelle figuraient pour la première fois, ce avant la fameuse exposition pétersbourgeoise « 0,10 » de décembre 1915, plusieurs toiles abstraites de l’artiste est une autre découverte que j’ai publiée à Paris en 1997.
Cf. mon article « Ce galimatias non-objectif du futurisme… : Un épisode méconnu des origines du suprématisme » in « Europe 1910-1939, Quand l’art habillait le vêtement », catalogue d’exposition, Palais Galiéra, Paris 1997, p. 56-63…
Cette publication est ignorée à ce jour dans les bibliographies russes et anglo-saxonnes, de même qu’est ignorée la publication des photographies de cette exposition qui figurent dans ma monographie de 2007.
Il en est de même pour beaucoup d’autres « découvertes » tardives, si non retardées…
Après la publication en 2007 de la première version (française) de ma monographie Kazimir Malewicz, le peintre absolu une réduction piratée a été publiée à la va-vite à Moscou à la fin de 2009 sous la signature d’une historienne d’art russe. Ce livre a été aussi rapidement traduit en anglais et publié aux USA en 2012 par Yale University Press. Évidemment il n’y a jamais été fait référence à aucune de mes publications sur Malewicz. Ce livre bénéficie jusqu’à ce jour d’une large diffusion.
Ainsi va le monde de la récupération.
* Je cite un des textes les plus connus de l’écrivain français Maurice Roche
[…] Als Reaktion nämlich auf einen Vortrag russischer Kunsthistoriker im Centre Pompidou Anfang April 2017, in dem sie das Jahr 1879 für Malewitsch’ Geburtsjahr als eine ihrer Entdeckungen präsentierten, schreibt Andréi Nakov einen Artikel mit der Überschrift „Une soi-disant «découverte» d’une nouvelle date de naissance de Malewicz“. Er schließt mit der ins Schwarze treffenden, obschon leicht resigniert klingenden Formulierung: „Ainsi va le monde de la récupération“, zu deutsch: So ist das nun einmal mit der récupération. Da der französische Begriff récupération mehrdeutig ist, kann man sowohl lesen “Wiederverwertung” der wissenschaftlichen Erkenntnisse Anderer als auch “Wiedergewinnung” historischer Tatsachen (siehe hier). […]