Depuis plusieurs jours, je suis bombardé par des questions concernant une « découverte sensationnelle » de la Galerie Trétiakov de Moscou qui, ayant procédé à des radiographies du Carré noir (1915) de Malewicz aurait trouvé des images « inédites » sous la surface visible de cette peinture.
L’émoi concerne une – ou deux ? – compositions (plutôt des ébauches ou des restes d’autres esquisses) qui se trouveraient sous la surface de cette peinture, célèbre depuis sa publication par Miroslav Lamac en 1967. Il y aurait aussi une inscription (de quelle main ?), mais celle-ci reste encore sujette à des futures interprétations…
Quant à la composition qui se trouve sous la couche supérieure du tableau celle-ci m’est connue depuis 20 ans quand, au prix de grands efforts et de démarches qui ont duré plusieurs années et non sans certaines complicités, j’ai pu finalement obtenir du musée moscovite que l’œuvre soit radiographiée. J’ai publié cette radiographie, reconstituée à partir de plusieurs morceaux, dans le 4ème volume de ma monographie Kazimir Malewicz, le peintre absolu, Paris, 2007, vol. 4, page 153 dans le chapitre consacré à la technique picturale de Malewicz. Le même livre fut repris en langue anglaise par les éditions Lund Humphries de Londres en 2010 (les radiographies du Carré noir y figuraient également au chapitre 31).
En son temps, mon étude a retenu l’attention de quelques spécialistes et fut republiée en langue anglaise par la revue scientifique de l’Institut IRSA de Cracovie, Pologne (cf. Devices, Style and Realisation : Professionalism in Malewicz’s Painting Technique in Artibus et historiae, n° 57, vol. XXIX, Vienna-Cracow, 2008, p. 183-239 – traduction en anglais du chap. 31, vol. IV de Kazimir Malewicz : le peintre absolu, Thalia édition, Paris, 2007). Mon travail fut par ailleurs favorablement commenté par la revue anglaise Artwatch (vol. 28, 2012).
En guise de découverte la nouvelle largement diffusée par les médias russes – et français ! – rappelle un bref texte satirique de Victor Chklovski consacré au « Réveil matin (j’ai publié sa traduction française en 1973 dans le volume La marche du cheval, Champ Libre, Paris).
Je suis ravi de constater que des collègues russes se rallient à mes postulats de travail avec des radiographies des œuvres, documents que j’exige depuis des années chaque fois qu’une nouvelle attribution de peinture à Kazimir Malewicz m’est soumise. Un seul bémol : il ne faut pas ignorer les radiographies déjà réalisées et de surcroît publiées. Ceci avancera l’état des connaissances, économisera du temps et évitera des dépenses inutiles.
Par contre, je proposerais à la Galerie Tretiakov que l’on radiographie la peinture « Doctor Mabuso » attribuée d’après moi de façon incorrecte à Malewicz, toile qui depuis la fin des années cinquante fait partie de la collection de ce musée et à ce titre a figuré de façon abusive à la dernière rétrospective du peintre (2013-2014 : Amsterdam, Bonn et Tate de Londres). Alors on s’apercevra peut-être qu’il s’agit d’une vulgaire œuvre de publicité, certes inspirée par le suprématisme mais qui n’est pas de la main de Malewicz mais de quelques élève de Chashnik, ce que du reste est attesté par une photographie d’exposition, prise en 1926 et publiée à l’époque. Il s’agit précisément d’une exposition d’ « œuvres décoratives » d’élèves de l’Institut décoratif de Leningrad.
L’agitation au sujet de cette « découverte » récente rappelle les paroles de l’écrivain français Maurice Roche « sans mémoire tout est neuf ».
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