L’exposition Gerhard Richter qui vient de fermer ses portes au Centre Pompidou a été un évènement qui a suscité des commentaires qui n’ont pas manqué de me surprendre. J’ai donc décidé de rédiger quelques brèves remarques la concernant.
L’exposition
J’avais visité cette exposition à Londres il y a quelques mois, lors de sa présentation à la Tate Modern. Comme beaucoup de mes collègues et amis, j’avais trouvé cette présentation sobre et bien construite. Claire. Ce jusqu’aux dernières salles où la vision de l’œuvre chavirait soudainement. Cette faiblesse de la fin de l’exposition m’a surpris et déçus. Je ressentais un certain regret, sinon un malaise. C’est lors de la présentation parisienne de l’œuvre de Richter que j’ai compris pourquoi ce dérapage avait eu lieu à Londres. Tout simplement, la présentation londonienne avait la solidité positiviste des constructions (artistiques) de l’histoire de l’art anglaise… et leurs limites. Elle manquait néanmoins de s’engager dans les méandres des retours, ces complexités du cheminement pictural de l’artiste dont l’œuvre se construit par d’incessants retours en arrière. Les sujets de ses peintures le sont non moins.
La présentation parisienne m’a plu par la richesse des regards croisés que cette œuvre appelle, à mon avis indiscutablement. Autant l’accrochage des œuvres à Paris m’a paru subtil, complexe, autant je fus étonné de lire dans les salles des commentaires qui évoquaient… Marcel Duchamp ! « Saint-Marcel » (Duchamp) a ainsi refait surface dans un contexte purement pictural, viscéralement pictural, alors qu’il est l’artiste conceptuel par excellence, loin de ce domaine à des années lumière. Pourrait-on finalement le laisser en paix et accepter que Marcel Duchamp fût plutôt critique d’art que peintre ? Évidemment, quand on est en face d’une démarche si picturalement complexe que celle de Richter, l’échappatoire – pseudo – conceptuelle offre une bonne porte de sortie, mais celle-ci ne mène… nulle part.
Peinture
Je trouve la peinture de Gerhard Richter très encourageante, car après tant d’annonces de la « fin de la peinture », sujet récurrent d’une critique de la modernité, elle montre que la peinture post-abstraite reste non seulement toujours possible, mais qu’elle a probablement un bel avenir.
La création de Richter me fait penser à l’extraordinaire éclat coloriste et formel des « méta-visions solaires » de Władysław Strzemiński, cet extraordinaire continuateur du suprématisme de Malewicz. Affichant de savoureux grattages, les dernières peintures de Richter rappellent la peinture gestuelle de Pollock, de même que celle, plus superficielle mais non moins « existentielle » d’un… Georges Mathieu. Ainsi l’artiste allemand n’a pas manqué de s’égarer dans la gestualité (De Kooning ou Hartung) pour passer vite par Courbet et Monet et surtout pour s’arrêter chez Gaspar David Friedrich. Autant d’escapades picturales enchanteresses.
Je suis même quelque peu surpris qu’en France, pays où l’avalanche psychanalytique reste d’actualité, le grattage, cette phase gestuelle de la création de Richter où le geste se joint à la redécouverte des strates souterraines de l’image, n’ait pas provoqué plus d’intérêt analytique, plus de commentaires au deuxième ou au troisième degré — ou peut-être que je ne les connais pas ?
Quant aux images à l’iconographie inspirée par les souvenirs du IIIe Reich, elles sont aussi complexes que le retour incessant de ses références picturales. Ressuscitées d’une mémoire familiale, ses souvenirs intimes renvoient à des strates souterraines non moins intéressantes dans leur fonctionnement sémantique, ses tiroirs psycho-iconographiques aboutissent, elles aussi aux peintures abstraites obtenues par grattage… le grattage de la mémoire de l’image.
J’ai lu à ce sujet dans Le Monde un article navrant de platitude, alors que la subtilité des strates qui composent la mémoire de l’artiste exige une autre finesse du commentateur. Mais pour cela, il faut vraiment pouvoir apprécier la peinture moderne, en connaitre les méandres, de Matisse à Beckman, de Pollock à Hartung, de Rothko à Richter.
Quelle richesse que la peinture moderne et quelle promesse pour l’avenir que la démarche de Richter.