Initié à la fin des années cinquante, le projet de cette monographie doit son origine à la clairvoyante vision de l’art moderne qui animait les actions de Carl Gutbrot, alors directeur des éditions Du Mont Schauberg de Cologne. Au-delà des intérêts purement intellectuels, et ceux-ci étaient d’un grand raffinement, Gutbrot, marié avec Krista Baumeister, fille du peintre Willy Baumeister, eut connaissance de bonne heure du mythe malewiczéen, car Baumeister, peintre allemand mais de rayonnement indiscutablement européen, fut aussi un ami de Malewicz. Leur amitié pris racine à Berlin lors de la mémorable « Grosse berliner Kunstausstellung » de l’été 1927 où les salles des deux artistes se côtoyaient dans le bâtiment du Lehrter Bahnhof. Dès le mois de mai de cette importante année 1927, ce fut également Baumeister qui établit les premiers contacts de Malewicz avec les abstraits parisiens (Seuphor). Confié initialement à Hans von Riesen, ami berlinois de Malewicz et dépositaire d’une bonne partie des archives que l’artiste, soucieux de leur survie laissa en 1927 à Berlin, ce projet passa successivement aux mains des historiens d’art pragois Miroslav Lamač et Jiři Padrta. Remarquables professionnels, Lamač et Padrta avaient l’avantage de connaître l’art occidental et le cubisme français en particulier (Miroslav Lamač) et, pour des raisons culturelles et géopolitiques, avaient également accès au monde soviétique au cours des années cinquante et soixante, deux conditions qui à ce jour restent indispensables pour l’approche de l’œuvre malewiczéenne. La mort prématurée de Jiři Padrta au printemps 1978 et le désistement de Lamač qui s’en suivit pour diverses raisons politiques et personnelles (son état de santé en particulier) laissèrent une fois de plus ce projet éditorial en suspens. L’initiative revint à ce moment à Wilhelm Hack qui fit appel à moi.
Dans les temps difficiles de l’immédiat après-guerre, Hack fut le premier collectionneur occidental de Malewicz et de l’avant-garde russe dans son ensemble. Passionné par les origines de l’art abstrait, Wilhelm Hack avait dans sa collection aussi bien des œuvres de Mondrian, Kupka et Delaunay que de Schwitters, Macke et Pollock. Les œuvres russes, et celles bien nombreuses de Malewicz en particulier, furent donc la conséquence quasi inévitable de cet intérêt. Il allait donc soutenir activement le projet de cette monographie dès le milieu des années soixante quand il fit la connaissance de Lamačet Padrta, qui effectuaient à ce moment des voyages d’étude et se firent connaître en Allemagne par des conférences sur Malewicz, dont ils venaient tout juste d’étudier le corpus de dessins et peintures conservées à Leningrad par Anna Leporskaja. Seul ou avec Gutbrot, Hack s’était par la suite rendu à plusieurs reprises à Prague pour encourager le travail des deux historiens d’art tchèques. Le projet d’une monographie consacrée à Malewicz, peintre qui fut sa passion de collectionneur, lui tenait autant à cœur que la survie de sa collection qu’il légua à la ville de Ludwigshafen.
Au début de l’année 1979, les éditions PVA (Landau-Ludwigshafen) reprirent le projet en me confiant le travail. Miroslav Lamač m’a transmis par la suite ses archives malewiczéennes, y compris une précieuse documentation photographique constituée en grande partie par l’inventaire de l’atelier pétersbourgeois de l’artiste et surtout par le corpus de dessins et documents que Malewicz avait laissés aux mains de son plus proche élève Nikolaj Suétin et de son assistante Anna Leposkaja, compagne de Suétin. Au cours des années soixante et soixante-dix, Anna Leporskaja, que j’eus le privilège de fréquenter à intervalles réguliers, fut à elle seule la mémoire vivante du suprématisme.
Les vicissitudes de mes longues années de recherche ont déjà été contées en 2002 dans mon introduction au « catalogue raisonné ». Conçu initialement comme documentation de référence, donc répertoire de l’œuvre indispensable pour l’accomplissement de mon travail, ce « catalogue raisonné » fut pour moi la seule annexe documentaire du travail principal, c’est-à-dire de la monographie.
Il me semble donc inutile de revenir sur les problèmes surgis lors de son élaboration et de là sur les solutions méthodologiques que j’ai adoptées. En revanche, j’éprouve le désir, le devoir même, d’expliquer en guise de préambule au volumineux texte qui suit, les motivations de mon travail et les principaux obstacles auxquels je fus confronté. En ma qualité d’historien et donc d’interprète, je considère les nombreuses épreuves que j’ai dû traverser depuis le début des années quatre-vingt non seulement comme partie intégrante de ma seule trajectoire personnelle, mais également bien plus en tant qu’éléments parfois fort significatifs de la fortuna critica de l’artiste. Au fil des années, j’ai en effet compris que les obstacles qui se dressaient sans arrêt sur le chemin de ce travail et sur celui de sa matérialisation éditoriale en particulier, résultaient en grande partie des barrières sociopolitiques et fondamentalement culturelles que la postérité de l’artiste avait érigées face à l’esthétique de Malewicz, vision qui n’était pas limitée au seul domaine plastique, mais était devenue une exigence d’ordre moral et philosophique. Et fut perçue telle dès ses premières manifestations en 1915 et 1916 (Dans le vol. II, on lira à ce sujet mes commentaires sur les réactions du critique Alexandre Benois.)
Il serait trop réducteur de limiter ce refus de non recevoir à la seule sévérité de la censure politique qui s’exerçait de façon impitoyable en Russie soviétique, et ce jusqu’à la chute du régime à la fin des années quatre-vingt. Aujourd’hui, les effets historiques de cette censure ne sont plus sujets à discussion, mais ce ne fut pas ainsi tout au long des interminables années de mon travail et dont l’accomplissement en a parfois bien souffert. Si les ravages de ce mépris pour l’humanisme moderne commencent à être perçus dans toute la mesure de leur action dévastatrice, aussi bien pour les hommes et pour les œuvres que pour les idées, on est encore loin de mesurer leur incidence sur la santé morale de nombreuses strates de la population, et je pense non moins aux historiens de l’art qui faisaient partie de la sinistre constellation soviétique. L’on ne doit non plus oublier que, toutes proportions gardes, de semblables ravages ont galement eu lieu à des degrs diffrents en Europe occidentale, et ce non seulement dans les pays où l’idéologie totalitaire avait pris officiellement le pouvoir. On ne trinque pas impunément avec le Diable. Moins visibles, donc plus perfidement souterrains, ces ravages sont parfois d’autant plus difficiles à déceler. Comme on le verra au cours du texte principal de l’ouvrage, ces sabotages conceptuels doivent être débusqués à chaque étape de l’interprétation de l’œuvre. Et l’on n’insistera jamais assez sur le rôle néfaste qu’ils ont constamment joué en entravant l’assimilation d’une pensée véritablement révolutionnaire que fut celle de Malewicz. Nourrie d’aspirations idéalistes, la création de cet artiste se situe résolument sur le versant anti-matérialiste de la modernité. Voilà pourquoi son action, son esthétique furent si violemment combattues en son temps, réaction qui allait s’accélrer au cours des premières décennies qui suivirent sa mort. On comprendra ainsi plus facilement, je l’espère, pourquoi aprés la tragédie de deux guerres autant totales que totalitaires, deux guerres organiquement liées et qui balisent d’une certaine façon le champ historique et culturel de sa peinture et de son esthétique, l’œuvre malewiczéenne eut à passer par le purgatoire de nombreux filtres anti-idéalistes tels ceux du « design », du « constructivisme » ou encore celui, bien réducteur, de l’abstraction dite « géométrique ». Et l’on ne s’étendra pas ici sur les interprétations « paysannes », « folkloriques » ou banalement « religieuses », le mythe de l’imagerie orthodoxe russe étant imposé de façon aussi simpliste qu’inconsciemment anti-moderniste à une œuvre dont l’ambition était universelle, fondamentalement supranationale, œuvre d’un mystique de type moderne et d’origine polonaise, de surcroît catholique. La force de ces écrans simplificateurs, amalgames fondamentalement anti-modernistes, est telle que, lorsqu’en 1990 j’ai parlé pour la première fois à un symposium moscovite de la période symboliste de Malewicz, mon exposé fut gratifié d’un silence de plomb. Pire encore, mes prises de position furent traitées de « provocations », et ce y compris dans la presse occidentale. Stigmatisée ainsi, mon interprétation de Malewicz et de l’art moderne plus largement compris pouvait être reléguée dans une sorte de « no man’s land » intellectuel. Ce type de censure, et chaque époque a sa vulgate et la censure qui en découle, eut l’avantage de me faire vivre des moments de grande solitude, expériences qui ne faisaient que me rapprocher de l’œuvre et surtout du vécu malewiczéen. à d’autres moments, ce furent de véritables conflits éditoriaux qui conduisirent successivement à plusieurs ruptures de contrats, suivies de rétentions abusives de ma documentation qu’il m’a fallu récupérer à force d’actions légales, pour ne pas oublier des sabotages d’autre nature, y compris criminelle. Toutes ces vicissitudes qu’il serait trop fastidieux de conter dans le détail relèvent au fond de la croyance en la possibilité de faire perdurer des fausses valeurs et surtout d’un mépris inavoué du sujet. Mes épreuves sont révélatrices de la survivance des démons d’une autre époque ; leur inventaire est d’une nature et d’une intensité certes fort différente de celles de l’artiste, mais la comparaison et la projection identitaire à laquelle par moments je ne pouvais échapper m’ont fait comprendre les mécanismes de la cœrcition sociale, dont le but est de faire taire la novation, car celle-ci dérange l’« ordre », et ce à toute époque. J’ai pu ainsi mieux mesurer la force des convictions de l’artiste, comprendre la nature de ses réactions, sa façon bien particulière de vivre et d’argumenter sa différence, son mode de pensée et d’expression picturale ou écrite, ses prises de position sociales ou tout simplement humaines.
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En abordant l’œuvre plastique de Malewicz, on ne doit jamais oublier que cet artiste fut un peintre-philosophe, il fut donc aussi, et avant tout, un moraliste. à l’égal de celle de Sigmund Freud ou de Friedrich Nietzsche, sa création appartient à une constellation intellectuelle, confrérie éminemment spirituelle pour laquelle la finalité morale constituait le socle du nouvel humanisme « moderne », un humanisme exigeant, mais aussi et avant tout généreux et fondamentalement optimiste. Cet humanisme avait pour but de fournir au « nouvel homme » une structure symbolique et des concepts cognitifs sur lesquels il puisse s’appuyer dans un univers où les repères de connaissance, donc de l’existence humaine, étaient en perpétuelle et si fondamentale mutation. Et il y avait de quoi avoir peur en ce moment de révolution scientifique fondamentale qui conduisait à une non moins radicale mutation philosophique. Si l’on y ajoute le bouleversement quantitatif résultant de l’accroissement boulimique des masses humaines et de leur non moins violente destruction, ce qui n’allait pas manquer d’ouvrir les portes aux dérives totalitaires, la réaction à ce nouvel humanisme devient compréhensible, elle n’est pour autant aucunement excusable. à l’exemple de Prométhée, tout au long de la première moitié du XXesiècle, la générosité des créateurs de la trempe de Malewicz n’allait pas rester impunie…
En cette époque d’archéologie intellectuelle à laquelle mon travail appartient pour une bonne part, l’approche de la création malewiczéenne demandait des dispositions spécifiques qui ne se limiteraient pas à la seule connaissance de l’art moderne aussi bien russe qu’occidental. Pour débusquer les pièges des conflits culturels auxquels l’artiste a dû faire face dès sa plus tendre enfance, il fallait en avoir conscience de façon vive, quasi intuitive, c’est-à-dire les avoir vécus soi-même. Ce fut bien mon cas : bilingue, né en Bulgarie de parents de nationalité différente, j’aurais pu me sentir à la périphérie culturelle de l’Europe, mais juste au contraire, enfant, je fus nourri du mythe culturel d’une Europe « moderne » dont c’est le cœur même auquel on s’adressait à chaque instant. J’ai eu aussi le redoutable privilège de grandir dans une société où régnait la terreur totalitaire. De pareilles difficultés créent des résistances, des réflexes de survie intellectuelle et morale. Ces derniers m’ont été de tout temps d’un grand secours sur le chemin escarpé de la recherche moderniste et, j’espère, sur celui de l’interprétation. L’interdit autoritaire de toute pensée critique et la société dans laquelle j’ai grandi où l’art moderne était assimilé d’office à la catégorie des interrogations « dangereuses » créent une inextricable soif de connaissance, besoin que je désignais moi comme la nécessité de vérité.
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Comme Sigmund Freud l’a bien montré, toute aspiration à une lucidité autocritique se heurte aux limites de l’inconscient. J’ai pu m’en rendre compte à divers moments de mon travail et surtout lorsque j’ai dû faire face à des interrogations purement culturelles, en particulier celles relatives à la position nationale de Malewicz. L’hypothèque provinciale d’une « polonité » de sacristain (catholique) était lourde à porter pour l’artiste non seulement dans son milieu artistique, mais aussi face au mépris social dont il faisait constamment l’expérience en raison de son provincialisme d’hobereau polonais appauvri et surtout en raison des vieux démons du monocentrisme culturel russe, déformation identitaire que l’idéologie stalinienne transforma rapidement en levier d’oppression sociale. Cette spécificité culturelle de la position socio-ethnique de Malewicz explique par ailleurs sa réussite à Saint-Pétersbourg (alors Petrograd) et surtout à l’étranger (en Allemagne) et les impasses moscovites qu’on aurait tort de limiter à la seule censure sociopolitique instaurée après Octobre 1918. Force est de le reconnaître : si après 1920, le suprématisme fut rejeté brutalement à Moscou, il le fut d’autant plus facilement que l’esthétique de Malewicz ne fut non plus accepté dans cette ville entre 1916 et 1919, quand ce furent ses propres camarades modernistes qui s’y opposèrent. Arrivé à ce point d’interrogation purement culturelle, je me suis tourné vers l’écrivain polonais Czeslaw Milosz qui, en vrai citoyen du monde et interprète raffiné des questions culturelles supranationales, m’a très subtilement aidé à démêler les fils d’une réflexion dont les méandres me repoussaient dans des impasses personnelles, comme toujours bien plus difficiles, car portées à obscurcir des interrogations autrement plus fondamentales. Au cours de ces longues années de recherches, ma réflexion a bénéficié de l’infaillible soutien intellectuel et non moins personnel que je dois à Marie Moscovici, psychanalyste chevronnée, mais aussi écrivain raffiné et transfuge culturel comme moi. Hors de toute complaisance, ses interrogations m’ont été d’un secours certain tout au long du périple analytique bien escarpé où la personnalité – certes imaginaire – de Malewicz menaçait bien souvent de s’approprier la mienne. Plus tard, j’ai eu la chance de connaître la généreuse amitié d’Henri Rey, auteur et psychanalyste londonien mais d’expression française, et surtout véritable humaniste qui m’a aidé à franchir les dernières réticences par rapport à l’écriture, c’est à dire l’affirmation définitive du sujet. Quant à la rédaction du texte, réalisation véritable et non seulement « aboutissement » comme on se plaît à l’espérer avant d’avoir franchi le seuil de l’écriture, cette lutte quotidienne avec la page blanche, c’est à-dire avec soi-même, s’est appuyé de longues années durant (pour tout dire six) sur une compréhension et un encouragement sans faille que m’a témoigné ma femme Catherine Ferbos, et ce au prix d’innombrables sacrifices que je lui ai imposés à elle et à nos enfants Iris, Daria et Constantin. Car, pour accomplir un travail de rédaction, devenu matériellement et moralement impossible à Paris pour ne pas dire « en société », je me suis expatrié dans la solitude rugueuse du Morvan. Ce stratagème identitaire a entraîné d’innombrables difficultés matérielles, sociales et non moins personnelles et il a fallu une personnalité aussi forte que la sienne pour y faire face. Je ne pourrais jamais la remercier suffisamment.
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Terminé à la fin de l’hiver 1999-2000, le texte n’a subi depuis aucune correction ni ajout significatif. Ayant pris la décision d’arrêter le nombre des thèmes à traiter, je ne voulais pas ouvrir la boîte de Pandore des extensions. Prêt pour l’impression il y a trois ans déjà, le texte a attendu son heure. Entre- temps, je me suis occupé d’autres sujets. Ainsi, en marge d’un travail sur l’art européen de la fin du IXe siècle où je me suis plongé dans les fondations philosophiques de l’art moderne, est résultée une étude sur les rapports de Malewicz avec la philosophie de Schopenhauer. Le texte allemand publié en 2005 par la société Schopenhauer de Francfort peut être considéré en tant que prolongement de certains thèmes abordés dans les chapitres 3 et 23 de la présente monographie.
Il en va de même pour l’étude que j’ai consacrée à l’important tableau suprématiste « Blanc et Noir » de 1915 (cat. S-113, suppl. 1), récemment acquis par le Moderna Museet de Stockholm. L’apparition de cette peinture, qui était inconnue jusqu’en janvier 2005, a élargi de façon significative ma vision des débuts du suprématisme. Elle m’a surtout conduit à articuler avec une nouvelle précision la chronologie des premières séries suprématistes, constituées au cours de l’été et le début de l’automne 1915. Une bonne partie de ce texte qui paraît à Göttingen en anglais et en suédois au même moment que la présente monographie mériterait de figurer dans les premiers chapitres du deuxième volume. Ces deux exemples sont la preuve, s’il fallait, que des études, les miennes ou celles d’autres auteurs, suivront inévitablement et probablement de façon rapide la publication de la présente monographie, ouvrage dont un des buts est de servir précisément de tremplin aux futures études malewiczéennes. Car, en toute connaissance de cause, j’ai laissé de côté de nombreux sujets et d’autres ont été à peine esquissés ; ils mériteraient certainement des études approfondies. La création de Malewicz est si originale et si généreuse dans son amour de l’homme et de la vie, l’intelligence de l’artiste si vive, qu’elle ouvre des perspectives vers d’innombrables sphères de l’imaginaire. Tout au long d’interminables périodes de recherche et celles non moins épuisantes de l’écriture, un de mes plus grands réconforts fut le dialogue avec l’extraordinaire intelligence qui fut celle de Malewicz. Si l’on y ajoute le diapason d’une sensualité plastique et d’une maîtrise formelle rarement égalées, on comprend le plaisir qui fut très souvent le mien au cours de ces longues années de labeur. Si j’ai pu entrouvrir au lecteur la porte de ce pays de merveilles, l’aider à pénétrer dans l’audace lyrique de la peinture et celle non moins grande de la philosophie suprématistes, je me considérerai heureux.
Indications pratiques
Conçue à l’origine comme un ensemble dont le « catalogue raisonné » (éditions Adam Biro, Paris, 2002) faisait partie intégrante, la monographie ici présentée se réfère de façon systématique à ce catalogue. Ainsi dans l’ouvrage, seuls sont fournis le titre, la date et la technique de l’œuvre, tous les autres renseignements figurent dans le « catalogue raisonné ». Celui-ci est divisé thématiquement en trois parties, la lettre qui précède le numéro du catalogue indique la partie de l’œuvre dont il est question : F = figuratif, S = suprématiste, PS = postsuprématiste. à part quelques précisions mineures relatives aux références bibliographiques, deux changements sont à signaler au lecteur :
a) Lors de l’impression du « catalogue raisonné », les œuvres F-186 (Portrait de femme) et la composition suprématiste S- 613 ont été reproduites de façon inversées (gauche-droite).
b) Le sens des compositions F-420 (Nécessaire de toilette) et F-421 (Station sans arrêt) a été également corrigé mais cette fois-ci c’est moi-même qui les ai positionnées de façon horizontale et non verticale comme il a été d’usage jusqu’à présent. En effet, dès la fin des années quatre-vingt, Nikolaj Hardziev avait attiré mon attention sur ce qu’il considérait comme une « erreur courante », c’est-à-dire la lecture verticale de ces œuvres : une nouvelle étude de l’iconographie futuriste de Malewicz et sa mise en rapport avec celle de ses proches collègues (Gontcharova et les peintres de l’entourage de Larionov en particulier) m’ont convaincu tout récemment que Hardziev avait raison. Du même coup, la difficulté de lecture que j’avais par rapport à ces œuvres s’est soudainement estompée. Dans les annexes documentaires du vol. 3 sont inclus les rares suppléments que mon travail pour le « catalogue raisonné » a connus depuis sa publication en 2002.
Pour faciliter la consultation des références bibliographiques, dans les notes qui accompagnent ou très sou vent prolongent le texte principal, ces références comprennent uniquement le nom de l’auteur et la date de la publication, ce qui permet au lecteur averti d’identifier la référence indiquée sans interrompre la lecture du texte principal. La bibliographie figure dans les annexes du troisième volume.
On remarquera le double système de transcription des noms cyrilliques : dans le texte principal a été adoptée une transcription courante, qui bonne ou mauvaise, est devenue usuelle et on espère, familière au lecteur averti, tandis que dans les notes a été utilisée une transcription phonétique internationale. En s’adressant en priorité aux chercheurs et aux spécialistes, ces notes se veulent avant tout utiles ; ainsi est proposée une transcription bien plus précise, et je l’espère, plus facilement accessible aux lecteurs non francophones. Dans l’introduction du « catalogue raisonné » (2002) et dans celle de la petite monographie publiée en 2003 par les éditions Gallimard, Paris (collection « Découvertes »), j’ai déjà fourni l’explication du choix de l’orthographe d’origine, donc polonaise, du nom de l’artiste. Il s’agit tout simplement de revenir à l’orthographe correcte d’un nom polonais, et dont la résonance symbolique est de surcroît hautement importante pour un peintre ; ce nom désigne certes un peintre russe, mais un artiste aux ambitions universelles, un peintre de surcroît d’origine polonaise, ce dont il a toujours fait état. De même que j’ai rétabli sa date de naissance (1879 et non 1878), le rétablissement de l’orthographe originelle de son nom obéit à un souci de vérité historique, obligation élémentaire pour toute étude digne de ce qualificatif. J’ai rédigé par ailleurs un texte traitant des rapports de l’artiste avec sa « polonité ». Ce texte, dont la parution est programmée par la revue Artibus et Historiae (Cracovie – Vienne) dans le vol. 55/6, constitue la version française de ma conférence « Polonité et universalité dans la création de Kazimir Malewicz : un excursus aux limites métanationales du modernisme » que j’ai prononcée le 27 novembre 2002 au Château Royal de Varsovie.
La liste des abréviations des collections a déjà été fournie dans l’introduction au « catalogue raisonné », elle est néanmoins reprise dans la présente publication en vue de faciliter la lecture de l’ouvrage.
En revanche, quant aux datations des œuvres comportant souvent la date du « motif » et celle de la « version », c’est-à-dire indiquant le moment de la réalisation matérielle du sujet, j’en ai traité en détail dans les préliminaires du « catalogue raisonné » ; il est également abordé à maintes reprises dans le corps principal du texte.
On attirera l’attention du lecteur sur le décalage des calendriers Grégorien et Julien, le premier ayant cours en Russie jusqu’au 1erfévrier 1918 quand la différence de 13 jours fut ajoutée pour rattraper le calendrier européen (le 1er février devint le 14). Au lieu de procéder à des ajustements laborieux des dates ou d’introduire une double datation, les dates russes sont laissées sans commentaires. Cette différence a une certaine importance avant août 1914, moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Coupée à partir de ce moment du reste du continent, l’actualité artistique russe évolue pratiquement en vase clos jusqu’à la fin de la guerre russo-polonaise de 1920. C’est pourquoi, il ne m’a pas semblé utile d’insister à chaque occasion sur le décalage du calendrier, différence d’autant plus laborieuse que l’importante exposition « 0,10 », qui en Russie débuta le 19 décembre 1915, serait dans ce cas replacée en janvier 1916. Ayant à ce moment une incidence européenne fort relative pour ne pas dire presque uniquement russe, il m’a semblé préférable de laisser la date de cet événement important telle que perçue… en Russie.